Du simple geste de se laver les mains disparaissent les traces de la violence d’État. De Montréal-Nord à Centre-Sud en passant par Notre-Dame-de-Grâce, voici comment un savon à main ravive et efface la mémoire d’événements tragiques.
Antoine Vogler, diplômé 2020 de la maîtrise recherche en géographie sous la supervision de Violaine Jolivet (UdeM).
À première vue, les lieux où des personnes ont été tuées par la police ne semblent pas porter de marques de commémoration. Toutefois, la personne qui regarde de plus près ces lieux peut remarquer des gravures sur l’écorce des arbres environnants, de nouvelles fleurs ajoutées à celles fanées, des peluches, des bougies et des portraits des victimes de ces meurtres commis par la police. Au fil des ans, ces sites deviennent des lieux où les familles et les proches se réunissent pour commémorer leur perte. Il faut être attentif pour observer ces détails, aucune marque permanente ne permet à la mémoire d’exister dans ces espaces. Sans commémoration, comment la réconciliation et la réparation peuvent-elles avoir lieu ?
Pour représenter le manque de volonté politique d’inscrire dans l’espace public toute forme de commémoration et de dédier ces lieux à la mémoire des personnes tuées par le SPVM, j’ai fabriqué des savons dans lesquels j’ai inséré des photos de ces lieux, imprimées sur du papier hydrosoluble. Ces savons symbolisent un sentiment d’indifférence de la part des autorités publiques qui se lavent les mains et se détachent de la douleur de la famille et des proches de la victime. Aucun changement permanent dans les pratiques du SPVM ou dans les politiques de la ville sont apportés pour briser le cycle de la brutalité et de la surveillance policières. La simple utilisation du savon pour se laver les mains suffit à effacer les traces laissées par la photo jusqu’à ce qu’elle disparaisse.
J’ai commencé ce projet lors de ma maîtrise en géographie à l’Université de Montréal s’intéressant aux discours médiatiques portant sur Montréal-Nord, lorsque je me suis impliqué dans le Comité de soutien à la famille de Fredy Villanueva afin de documenter la violence d’État, les questions de commémoration et les enjeux de mémoire spatiale. Le projet photographique s’est élargi par la suite à d’autres arrondissements. À ce jour, seulement la mémoire de Nicolas Gibbs est commémorée par une murale dans l’arrondissement Notre-Dame-de-Grâce. J’espère que ce projet pourra apporter d’autres changements.
Fredy Villanueva – 9 août 2008
Parc Henri-Bourassa
Montréal-Nord
Pierre Coriolan – 27 juin 2017
Résidence privée
Centre-Sud
Nicholas Gibbs—21 août 2018
Intersection de Maisonneuve/Montclair
Notre-Dame-de-Grâce
Patrick Bellemare – 20 juin 2020
Intersection Ontario Est/Saint-Timothée
Centre-Sud
Sheffield Matthews —29 octobre 2020
Intersection Côte Saint-Luc/West Hill
Notre-Dame-de-Grâce
Pour en savoir plus
Fredy Villanueva : https://www.lacrap.org/vigile-commemorant-le-9e-anniversaire-de-lassassinat-de-fredy-villanueva-vigil-comemorating-the-9th
Pierre Coriolan : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1818765/mort-homme-noir-crise-2017
Nicholas Gibbs : https://journalmetro.com/local/cote-des-neiges-ndg/2687066/une-oeuvre-a-la-memoire-de-nicholas-gibbs-dans-notre-dame-de-grace/
Patrick Bellemare : https://www.bei.gouv.qc.ca/actualites/detail/enquete-independante-concernant-levenement-survenu-a-montreal-le-20-juin-2020-le-bei-remet-son-ra.html
Sheffield Matthews : https://www.pressegauche.org/Il-s-appelait-Sheffield-Matthews-les-Montrealais-e-s-manifestent-contre-le