Partir à l’aventure dans le cadre de son projet de maîtrise? Oui, c’est possible! Le mot aventure ici ne signifie pas monter l’Everest ou visiter le Machu Picchu. Il signifie plutôt parcourir des centaines de kilomètres de chemins forestiers – et par le fait même découvrir de magnifiques paysages boréaux – dans le but de recueillir des données pour mon projet de recherche sur la dégradation des chemins forestiers du Québec. Allez, embarque avec moi et commençons ce fameux road trip!
Patricia Girardin, étudiante à la maîtrise recherche en écologie sous la co-supervision d’Osvaldo Valeria (UQAT) et François Girard (UdeM).
Envoyé le 11-07-2019 06:47
Bonjour à toi!
Aujourd’hui, j’en suis exactement à la moitié de mon aventure au fin fond des bois. Imagine-toi que, comme à tous les matins depuis quatre semaines, mon cadran a sonné à 5h30. Tu dois t’en douter, ce n’est pas une question de choix, mais plutôt d’obligation, puisque je loge dans un camp forestier où les déjeuners sont servis avant 6h30. Je prends justement quelques instants pour t’écrire avant de partir sur le terrain. D’ailleurs, j’y pense : je ne dois pas oublier mon imperméable aujourd’hui, car les nuages sont menaçants. Figure-toi qu’hier, il a mouillé toute la journée. J’espère que mes bottes à cap d’acier ne sont pas encore humides de la veille. Je ne contrôle pas la météo, malheureusement! Sinon, chaque matin je m’assure aussi de ne pas partir sans mes essentiels : mon GPS, des feuilles pour noter, des bouteilles d’eau et un lunch. Sans eux, la journée serait longue… Pour ce qui est du reste du matériel, tout le nécessaire est déjà dans le véhicule, dont le précieux et indispensable chasse-moustique. Je te confirme que les mouches et les maringouins sont au rendez-vous cet été!
Voilà que mon assistant de terrain — qui est aussi mon frère — vient de m’informer qu’il est prêt à partir.
Au menu aujourd’hui : parcourir environ 200 kilomètres de chemins forestiers, faire au minimum six placettes d’échantillonnage, peut-être prendre une douche sous la pluie et, très certainement, écouter la douce mélodie des mouches et des maringouins qui cherchent désespérément une brèche dans notre filet. Une journée typique d’échantillonnage quoi!
Je dois commencer ma journée. Je te réécris prochainement.
À bientôt!
Envoyé le 15-07-2019 21:22
Salut! Comment vas-tu?
Dans ton dernier courriel, tu m’as demandé ce que nous faisions plus particulièrement lors de nos journées sur le terrain. En fait, nous mesurons la dégradation des chemins forestiers. Inusité, n’est-ce pas?
Plus précisément, mon séjour en forêt a pour but de faire ma campagne de terrain que je mène dans le cadre de mon projet de maîtrise, qui vise à étudier la dégradation des chemins forestiers au Québec. Mon frère et moi avons pour mission de parcourir des milliers de kilomètres de chemins forestiers dans la région de Senneterre (Abitibi), de La Tuque (Mauricie) et de La Dorée (au nord-ouest de Saint-Félicien, Lac-Saint-Jean). C’est un road trip assez insolite, je te l’avoue.
L’objectif est de mieux comprendre comment la dégradation d’un chemin forestier varie dans l’espace et dans le temps. Ces connaissances sont essentielles pour un aménagement sécuritaire et durable du réseau des chemins forestiers et de la forêt où il se retrouve. Pourquoi, me demandes-tu sûrement? En fait, un chemin dégradé engendre de nombreux impacts économiques (p. ex. perte d’accès au secteur de coupe et augmentation des coûts d’entretien), environnementaux (p. ex. transfert des matériaux du chemin dans les habitats terrestres et aquatiques avoisinants) et sociaux (p. ex. risques pour les usagers que ce soient les compagnies forestières, les scientifiques, les villégiateurs ou encore toi et moi). C’est dans cette optique que j’étudie les chemins forestiers, puisqu’une meilleure connaissance de leur état et des facteurs qui influencent leur dégradation nous permettrait de réduire les impacts rattachés à cet enjeu.
Tu as probablement compris que je suis donc présentement sur le terrain afin de remplir cette mission. Plus précisément, mon séjour en forêt consiste à rouler sur les chemins forestiers et à mesurer en temps réel la dégradation que nous y observons. Pour ton information, le réseau fait plus de 600 000 kilomètres de chemins forestiers, ce qui équivaut à environ 15 fois le tour de la Terre. Je ne pense pas t’apprendre quelque chose en te disant que c’est impossible pour mon frère et moi de le parcourir en entier, faute de temps et d’argent.
Pour faciliter notre tâche, nous échantillonnons plutôt des segments ici et là pour avoir une représentation de l’ensemble des conditions du réseau. Quand je parle de mesurer la dégradation, c’est au sens propre : nous mesurons au centimètre près la largeur et la profondeur de toutes les formes de dégradation à l’aide d’un ruban à mesurer. Rien de très extravagant, je te l’avoue. En revanche, c’est un travail de moine qui ne se fait pas en claquant des doigts.
Grâce à ces mesures, j’obtiens ensuite le pourcentage de la superficie totale du chemin qui est dégradée au sein de chaque segment. Nous compilons aussi d’autres informations, dont la largeur du chemin, le temps depuis son dernier entretien, sa pente et sa perte de surface de roulement, dans le but de déterminer si ces caractéristiques ont une influence significative sur la dégradation des chemins forestiers.
Il se fait tard, alors on se reparle.
Envoyé le 14-08-2019 20:18
Bonsoir mon ami!
Voilà que mon séjour sur le terrain tire à sa fin. Dans deux jours, nous retournons à la civilisation. Finalement, ces huit dernières semaines se sont déroulées rapidement. J’ai fait le calcul : mon frère et moi avons parcouru environ 7 000 kilomètres de chemins forestiers. Imagine-toi, c’est l’équivalent de faire le trajet aller-retour Montréal-Calgary!
Je suis vraiment reconnaissante d’avoir pu vivre cette aventure, car outre mesurer des nids-de-poule ou des roulières, elle m’a apporté de nombreuses surprises et un nouveau regard sur la problématique que j’étudie. Par exemple, nous avons eu la chance d’observer de loin ou de près la faune boréale : orignaux, grands hérons, bernaches, canards, lynx, ours et gélinottes. D’ailleurs, il y a quelques jours nous avons eu droit à la visite d’un drôle d’ami : un ours qui se baladait tout bonnement en forêt et qui s’est adonné à croiser notre chemin. Cette rencontre a été assez surprenante, autant pour nous que pour l’ours!
À notre grand plaisir, nous avons également eu l’occasion de déguster la flore boréale : des framboises, des bleuets et des groseilles qui abondent depuis le début du mois. Un vrai régal! Oui, ne t’inquiète pas, je vais t’en rapporter.
Cependant, c’est une fois en plein cœur de la forêt boréale que nous réalisons rapidement que cet écosystème est unique et précieux. C’est en étant sur le terrain que j’ai pu réellement comprendre à quel point les chemins forestiers jouent un rôle crucial au niveau de la santé de nos forêts. Sans surprise, nous constatons que la présence de dégradation sur un chemin forestier est une source d’érosion, synonyme de ruissellement des matériaux (gravier, sable, poussière, etc.) dans les cours d’eau et sur les sols forestiers avoisinants. La faune aquatique et terrestre que nous avons rencontrée utilise justement ces ressources en eau, tandis que les délicieuses baies sauvages poussent sur ces sols forestiers, où les impacts de la dégradation étaient visibles en temps réel. Bref, les sorties de terrain ne sont pas seulement synonymes de récolte de données. Il s’agit aussi d’une opportunité en tant que chercheuse d’élargir son regard sur son projet de recherche pour aller au-delà des objectifs principaux décrits sur papier.
J’ai encore un peu de travail à faire ce soir, alors je te dis à bientôt.
Envoyé le 03-11-2019 13:51
Salut mon ami!
Dans ton dernier courriel, tu m’as demandé si finalement les chemins forestiers au Québec étaient dégradés. La fameuse question!
En fait, après avoir analysé les mesures prises sur le terrain, j’ai noté que les chemins forestiers de la province présentent peu de dégradation tant et aussi longtemps qu’ils sont entretenus régulièrement. Ce n’est pas un secret : leur utilisation étant motivée principalement par l’industrie forestière, un chemin sera fréquemment entretenu tant qu’il permet d’accéder aux sites de récolte du bois. Cependant, grâce à mes résultats j’ai pu constater que la dégradation sur un chemin qui n’est plus entretenu varie faiblement dans les cinq premières années, pour ensuite augmenter exponentiellement au fil du temps.
J’ai aussi découvert que le temps n’est pas le seul facteur qui contribue à dégrader un chemin forestier. Mes résultats démontrent que la largeur du chemin, le gradient de pente et la perte de surface de roulement influencent aussi significativement le taux de dégradation. Par exemple, les chemins les plus étroits, que mon frère et moi avons échantillonnés, présentaient davantage de dégradation. Selon moi, cela s’explique par le fait qu’ils sont construits selon une vision à court terme, comme c’est le cas des chemins d’accès secondaire ayant une durée de vie moindre (moins de 10 ans) comparativement aux chemins plus larges (plus de 20 ans). Les standards de construction impliquant le taux de compaction et la qualité des matériaux sont conséquents avec la vocation du chemin.
Sinon, j’ai aussi noté que plus la pente du chemin était importante, plus le taux de dégradation augmentait. Il y a une certaine logique derrière ce résultat : lorsque nous sommes au volant de notre voiture, nous avons tendance à accélérer pour gravir des pentes, ce qui a pour effet d’éroder davantage le chemin. Je l’avoue, je suis moi-même coupable! Finalement, la perte de surface de roulement signifie qu’il y a un avancement de la végétation sur le chemin et/ou une fermeture du couvert forestier. La présence de racine et d’humidité dans la structure du chemin provoquerait davantage d’instabilité, ce qui se traduit par une dégradation du chemin.
S’il y a une chose que tu dois retenir de mes résultats, c’est qu’ultimement, les quatre processus vont interagir, ce qui aura pour effet d’exacerber la dégradation. Tu peux comprendre que je fais donc face à un vrai casse-tête, auquel j’ai tout de même réussi à placer quelques morceaux jusqu’à maintenant. C’est d’ailleurs pour cela que ce projet se continuera sur le long terme, afin d’étudier de nouveaux processus, comme la qualité des matériaux du chemin, l’abondance des précipitations et le flux de transport.
Eh oui, je vais continuer mon fameux road trip au cours des prochains étés! Ce qui signifie que je pourrai t’envoyer de nouvelles cartes postales. Yeah!
D’ici là, porte-toi bien.