En les amplifiant de façon soudaine, la pandémie de la COVID-19 a révélé au grand jour les inégalités socio-économiques de santé qui existent entre différents secteurs de Montréal. Le confinement a forcé une grande partie de la population à recentrer son existence sur les environs très rapprochés de son domicile et toutes et tous n’ont pas eu accès à un environnement équivalent. Comment se manifestent les inégalités en regard de l’accès à la nature pour les montréalaises et les montréalais et quelles sont les pistes de solution pour les réduire?
Annie Lamalice, diplômée 2020 du doctorat en géographie sous la co-supervision de Thora Herrmann de l’Université de Montréal, ainsi que de Jean-Louis Martin et Sylvie Blangy de l’Université de Montpellier.
Bien qu’il ne soit pas le seul facteur à considérer, notre environnement urbain a un impact sur notre santé, comme en témoigne l’espérance de vie qui varie de plusieurs années entre les quartiers montréalais les plus aisés et ceux où les indices de défavorisation sont les plus alarmants. Cette différence atteint presque 11 ans lorsque l’on compare Hochelaga-Maisonneuve (74,2 ans) et Ville Saint-Laurent (85 ans)1. Certains facteurs de risque à l’origine de ces inégalités peuvent être observés depuis le ciel. À l’échelle de l’île, les grands parcs et les ruelles vertes des quartiers centraux qui s’étendent sur les pourtours du Mont-Royal tranchent avec les raffineries de l’est, les bords d’autoroute et autres îlots de chaleur urbains. À une échelle plus fine, le contraste net entre l’îlot de verdure tacheté du bleu azur des piscines creusées de Ville Mont-Royal et le gris de l’asphalte et du bitume dominant du côté de Parc-Extension suggère un accès inégal aux espaces verts. Or, l’accès à des espaces verts de qualité permet de réduire les inégalités socio-économiques en procurant des bienfaits pour la santé physique et mentale2,3.
En santé sous la canopée
En ville, les îlots de chaleurs – espaces caractérisés par une absence de végétation – contribuent à accroître la pollution de l’air. Les arbres et les espaces verts améliorent la qualité de l’environnement en absorbant les polluants comme l’ozone et les métaux lourds, et en réduisant le bruit et la température ambiante4. La création d’îlots de fraîcheur permet ainsi de diminuer la température et d’améliorer la qualité de l’air. L’indice de canopée, qui correspond à la proportion de la superficie aérienne occupée par le feuillage des arbres, a une valeur moyenne de 20% sur l’île de Montréal. Les effets sont cependant optimaux sur la qualité de l’air et pour le rafraîchissement des températures lorsque la canopée couvre au moins 40% de l’espace urbain5.
Contrer les effets nocifs des îlots de chaleur sur la santé devient de plus en plus préoccupant dans le contexte des changements climatiques et de la multiplication des épisodes de canicule. La présence de milieux naturels et la fréquentation des espaces verts procurent plusieurs bienfaits pour la santé, notamment une réduction de l’incidence des accidents vasculaires cérébraux, de l’hypertension, de l’asthme et des maladies coronariennes6. Une méta-analyse récente a même permis d’établir une association inverse entre l’exposition à la verdure environnante et la mortalité, toutes causes confondues7. De nombreuses études ont également démontré les bienfaits du contact avec la nature sur la réduction du stress et de la fatigue et, en contexte urbain, sur l’augmentation de la cohésion sociale et la réduction de l’isolement social8.
Certaines citadines et certains citadins vivent tout près de l’autoroute métropolitaine, îlot de chaleur par excellence à Montréal.
Des populations captives du bitume
Pour changer d’air sans quitter l’île, les montréalaises et les montréalais ont été plus nombreuses et nombreux que jamais à se prêter à l’art du jardinage. Toutefois, toutes et tous ne bénéficient malheureusement pas d’un espace suffisant. Alors même qu’une crise du logement frappe Montréal et que les citoyennes et les citoyens doivent consacrer une part de plus en plus importante de leur revenu pour payer un logement de plus en plus étroit, la crise sanitaire est venue renforcer dramatiquement le manque d’espace subi par plusieurs. Les effets cumulés de la crise sanitaire et de la crise du logement ont pour effet d’amplifier l’isolement de certaines populations, d’autant plus que les enjeux liés à la mobilité se sont également accentués en ville avec la peur de contracter le virus dans les transports collectifs. La présence d’espaces verts à proximité du lieu de résidence est particulièrement importante pour les enfants et les personnes à faible revenu, car ces populations sont davantage captives de leurs quartiers9,10.
Si l’ensemble des familles montréalaises vit à moins de 800 mètres d’un parc doté d’installations sportives, la quantité et la qualité des espaces verts tendent à être largement moindres dans les secteurs économiquement défavorisés. Une étude sur l’accessibilité des parcs dans huit arrondissements montréalais a démontré qu’une famille aisée peut compter sur plus du double de superficie d’espace vert qu’une famille moins nantie11. Cet écart peut d’ailleurs continuer à se creuser si de grands efforts ne sont pas faits pour inverser la tendance. De fait, dans les quartiers plus aisés la création de nouveaux espaces verts a suivi son cours même en temps de pandémie, comme c’est le cas pour les 10 nouvelles ruelles vertes et tronçons champêtres fraîchement inaugurés dans l’arrondissement du Plateau Mont-Royal. Ce portrait contraste avec celui des arrondissements les plus touchés par la pandémie. Ceux-ci se relèvent en effet avec plus de difficulté. Au plus fort de la crise en avril et mai 2020, l’arrondissement de Montréal-Nord était celui qui comptait le plus de cas d’infection par tranche de 100 000 habitants, notamment parce que les travailleuses essentielles et les travailleurs essentiels les moins bien rémunérés du secteur de la santé sont surreprésentés au sein de cette population12. À Montréal-Nord, il y a environ 5000 m2 de parcs municipaux par tranche de 1000 habitants. C’est presque cinq fois moins que la moyenne montréalaise de 24 000 m2 par tranche de 1000 habitants13. Celles-là et ceux-là mêmes qui prennent soin des citadines et des citadins ont ainsi un accès plus restreint aux aménagements urbains procurant du bien-être.
Certaines montréalaises et certains montréalais bénéficient d’aménagements champêtres en plein cœur de la métropole
Certaines privilégiées et certains privilégiés ont pu fuir l’épicentre de la pandémie en se réfugiant dans leurs résidences secondaires et ont ainsi pu profiter de la période de confinement pour se ressourcer et se reconnecter à la nature. Pour prendre la clé des champs, d’autres ont patiemment attendu la réouverture des campings et autres lieux de villégiature afin d’assouvir leur soif de plein air et troquer les quatre murs de leur logis pour le calme apaisant des grands espaces. Toutes et tous ne peuvent cependant se permettre de mettre leur quotidien sur pause le temps d’un séjour à l’extérieur de la ville. Pour cela, il faut des vacances, un moyen de locomotion et de l’équipement qui est loin d’être à la portée de toutes les bourses. La pandémie a mis le transport interurbain sur pause et surchargé les services d’autopartage.
On peut bien se rendre jusqu’au point d’eau, ça ne signifie pas qu’on puisse s’y abreuver. La chercheure Annie Poulin et le chercheur François Brissette de l’ÉTS, spécialistes de l’hydrologie et des changements climatiques, soulignent que bien que les plans d’eau soient abondants et théoriquement publics, leur accès y est de plus en plus restreint chaque année, en particulier dans le sud du Québec14. Cela s’explique par la privatisation accrue des terrains autour des lacs et le manque de volonté politique, notamment parce que les municipalités captent une partie importante de leur financement à travers les taxes des riverains. Sur l’île de Montréal, l’accès aux berges du fleuve Saint-Laurent et de la rivière des Prairies est inégal. Les berges sont tantôt aménagées pour le grand public, tantôt accaparées par des maisons cossues, une autoroute ou encore l’industrie.
Les plans d’eau sont de moins en moins accessibles pour les québécoises et les québécois qui ne sont pas propriétaires riverains.
La nature pour toutes et tous
Parce que mettre le quotidien sur pause et bénéficier des bienfaits de la nature ne devrait être un luxe pour personne, il s’impose de considérer quelques pistes de réflexion et d’action pour que toutes et tous puissent accéder à la verdure, aux berges et aux activités de plein air, en ville ou hors de celle-ci. Face à l’insuffisance des espaces verts qu’elle constate à Montréal, la professeure d’écologie urbaine à l’Université de Concordia, Carly Ziter, propose de saisir l’après-pandémie comme une « occasion unique pour plaider en faveur de villes plus vertes, et plus équitables »15. Elle invite à repenser complètement les quartiers pour les personnes qui y vivent plutôt que pour les voitures qui y transitent. Pour agir en ce sens, le guide Sous les pavés développé par le Centre d’écologie urbaine de Montréal propose une démarche de dépavage participatif qui vise à réduire les surfaces minéralisées en mobilisant les citoyennes et les citoyens autour des enjeux d’adaptation aux changements climatiques.
La pédagogie en plein air est une piste prometteuse pour faciliter le respect des règles de distanciation physique tout en maximisant les bienfaits du contact avec la nature pour la santé. Le professeur à la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke Louis-Philippe Ayotte-Beaudet fait la promotion de ce projet pédagogique, qui prend de l’ampleur depuis plusieurs années au Québec et permet d’ancrer les apprentissages et le développement des jeunes dans la nature, dès la petite enfance. Parmi les avantages associés à la pédagogie en plein air, notons l’amélioration de l’estime de soi et de la motivation des enfants, l’amélioration de la forme physique et le développement d’un goût pour le temps passé à l’extérieur, que les jeunes tendent à transmettre à leur entourage16,17. Julie Moffet, de la Fondation Monique-Fitzback, identifie 10 pistes d’action pour mettre en place la pédagogie en plein air à l’école, de façon accessible et tout au long de l’année. Composer avec les conditions météorologiques hivernales est certainement un défi de taille pour un projet éducatif en plein air. Olivier Legault, cofondateur du Laboratoire de l’hiver, encourage les citadines et les citadins à améliorer leur rapport à la saison froide. Pour ce faire, il propose une stratégie simple et efficace soutenue par l’action citoyenne et misant notamment sur des aménagements urbains de proximité faciles à mettre en place, tels que de petites buttes de neige qui peuvent être utilisées pour la glissade18 .
Pour pallier la perte d’accès aux plans d’eau qu’ils observent au Québec, la chercheure Annie Poulin et le chercheur François Brissette de l’ÉTS proposent d’intégrer des accès riverains publics à tous projets d’infrastructures, ce qui implique de troquer quelques privilèges individuels pour le bien commun19. Différentes occasions de déprivatiser les berges afin d’ouvrir de nouveaux accès au grand public peuvent être saisies. C’est ce qu’a fait la ville de Montréal en juillet 2020, en achetant trois maisons patrimoniales dans l’ouest de l’île pour assurer leur restauration et ainsi offrir à la population de nouvelles fenêtres sur la rivière des Prairies ainsi qu’au futur Grand parc de l’Ouest. La présence d’espaces verts et la création de nouvelles ouvertures sur les rives ne suffisent cependant pas à optimiser les bienfaits sur la santé humaine. Encore faut-il que ces espaces soient accessibles et que toutes et tous s’y sentent bienvenu.es. Pour celles et ceux qui n’ont pas grandi en pratiquant le camping, le canot ou encore le ski de fond, les activités de plein air peuvent paraître inaccessibles. Pour contrer cette situation, des clubs de plein air interculturel proposent d’initier les personnes de toutes origines au camping et à de nombreuses activités telles que le ski de fond et le canot « même s’ils n’ont pas de voiture, de matériel spécialisé, d’expérience préalable ni un grand budget »20.
Une famille de quatre doit débourser $210 pour séjourner une nuit dans un chalet « Écho » de la SEPAQ. Le camping est moins dispendieux, mais requiert équipement et savoir-faire.
La crise sanitaire a révélé et amplifié une situation d’injustice environnementale depuis longtemps subie par les montréalaises et les montréalais les moins nanti.es. La présence et la qualité des espaces verts contribuent à réduire les inégalités socio-économiques en santé, et cela a d’autant plus d’impact dans les milieux économiquement défavorisés. Accroître la présence et la qualité des espaces verts, en voilà une bonne façon pour relancer l’économie et mettre à profit les cônes orange et les pépines de la ville de Montréal!
Références
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